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Olivier Dard à L’AF 2000 : " Il me paraît nécessaire et légitime de se souvenir, 80 ans après, des morts du 6 février 34. "

6 Février 2014, 21:50pm

Publié par AF Provence

http://www.sortiraalger.com/wp-content/uploads/2013/05/LLLLLLLLKKKKKKKKK.jpgOlivier Dard, spécialiste internationalement reconnu des droites françaises et organisateur de plusieurs colloques consacrés à l’Action française, a bien voulu accorder un entretien à L’AF 2000 pour le 80e anniversaire du 6 février 1934. Il vient de faire paraître aux éditions Armand Colin un "Maurras" qui a été unanimement salué.

L’AF 2879 - Quatre-vingts ans après, peut-on affirmer que le 6 février 34 fut un coup de force fasciste qui a échoué, comme le pensent encore certains à gauche ?

Olivier Dard - Les forces de gauche interprètent sur le moment (et durablement) le 6 février comme une tentative de coup d’Etat fasciste. Elles organisent d’ailleurs à cette fin, les 9 et 12 février, des manifestations importantes en province et à Paris. Cette vision des contemporains est démentie par l’historiographie, en particulier depuis l’ouvrage bien connu de Serge Berstein intitulé Le 6 février 1934 et paru en 1975. On rappellera aussi que les ligues nationalistes n’étaient pas seules à manifester le soir du 6 février. Les communistes de l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) ont également mobilisé et l’Humanité dénonçait dans son édition du 6 février « le régime du profit et du scandale », appelant à mettre « à bas le gouvernement voleur des mutilés de guerre et complice des escrocs ».

L’AF 2879 : Quel fut le rôle exact de L’Action Française dans les semaines précédentes et dans la nuit du 6 ?

Olivier Dard - L’Action Française s’est fait une spécialité de la dénonciation des scandales financiers et de la République radicale. Le quotidien a un incontestable savoir-faire en matière de campagne de presse. A l’origine, le traitement de l’affaire Stavisky peut se lire à cette aune. Bien renseignée, L’Action Française publie des documents et des révélations fracassantes. Le discours contre les « voleurs » s’infléchit brutalement au lendemain de la mort de Stavisky le 8 janvier 1934. Comme l’essentiel de la presse, L’Action Française refuse d’avaliser la thèse du suicide (reprise aujourd’hui par les historiens) et y voit un assassinat déguisé. A partir du 9 janvier, l’AF pousse les feux et joue sur le double tableau de sa presse et de ses organisations militantes (ligue, Camelots du Roi, étudiants). Se développent sur Paris et sous l’impulsion de l’AF des manifestations quasi quotidiennes qui débouchent rapidement sur un mouvement d’opinion agrégeant les autres ligues nationalistes (Jeunesses Patriotes, Solidarité Française) à l’exception notable des Croix-de-Feu.



L’appel à manifester paru dans L’Action Française du 6 février est banal : il s’agit de se rassembler « devant la Chambre, au cri d’ “A bas les voleurs !” pour signifier au Ministère et à ses soutiens parlementaires qu’ils en ont assez du régime abject. » L’AF donne rendez-vous classiquement à ses troupes vers l’Odéon et non place de la Concorde, où tout s’est joué et où nombre de militants se sont rendus ensuite par petits paquets. La suite est connue. Les premiers coups de feu ont été tirés après 19 heures, probablement par des agents en difficulté tandis que les émeutiers se radicalisent au fur et à mesure des charges. Les violences durent jusqu’à deux heures du matin. Les forces de l’ordre tirent à balles réelles. Du côté des manifestants, on se bat avec d’autres moyens et si des armes à feu ont été utilisées, il n’y eut qu’un seul blessé par balle parmi les policiers et les gendarmes. Le bilan officiel fait état de 1 450 victimes dont 781 pour le service d’ordre (un mort — un garde tué par un jet de projectile — et 780 blessés). Le même document comptabilise 669 victimes parmi les manifestants. Sur le moment, 14 morts civils ont été déclarés mais le chiffre se monte à 18 si on tient compte des décès consécutifs aux blessures. Au final, les chiffres des morts rapportés aux groupements présents sont les suivants : 7 morts pour l’AF, dont 3 des suites des blessures, 2 morts pour les Jeunesses Patriotes et 2 pour la Solidarité française (1 sur le coup et 1 ensuite). Le lendemain, le choc est profond et Maurras, recherché, tonne dans L’Action Française : « […] ces pauvres gens nous échafaudent un complot. Complot ? Complot eux-mêmes ! […] Nous disions : A bas les voleurs ! Il nous faut dire : A bas les Assassins ! »



http://www.france-histoire-esperance.com/wp-content/uploads/2013/02/400px-6Fev1934-manifestation.jpgL’AF 2879 - Peut-on imputer l’échec de la révolte au colonel de La Rocque et à ses Croix-de-Feu ? Ou plus exactement à une impréparation générale des ligues, notamment de l’AF, à la prise de pouvoir ? L’absence d’un général Monk... « A vous de jouer, aurait dit le jeune prince Henri à Maurras, le 6 janvier précédent, mais nous vous jugerons sur vos résultats » — je tire cette citation de votre dernier ouvrage consacré à Maurras.

Olivier Dard - Je vous invite à lire sur ce point les Mémoires récemment parus du colonel de La Rocque, Pourquoi je suis républicain. Le livre s’ouvre par un texte sur le 6 février écrit dix ans plus tard alors qu’il est détenu par les nazis à la forteresse d’Itter. La Rocque, qui se sait accusé d’avoir « lâché les autres groupements » pose crûment la question : « Aurions nous-été fondés à tenter un coup d’Etat, une prise de pouvoir le 6 février ? ». Fier d’avoir épargné à ses militants « l’abattoir » et le « cul de sac », il répond par la négative en arguant non seulement de son républicanisme mais aussi de l’impréparation de son mouvement, tant sur le plan de ses cadres que de son implantation en province. Le lieutenant-colonel plaide pro domo et après coup mais le constat d’impréparation des ligues qu’il dresse est juste. Rapporté à l’AF, d’autres questions se posent. La première est celle des buts et donc de ses alliances : l’AF est la seule à avoir comme objectif de renverser le régime républicain alors que pour les autres mouvements il s’agit de « réformer l’Etat ». Par ailleurs, l’AF n’a en réserve ni un général Monk ni une base militante suffisante, notamment en province. En dernier lieu, la confrontation des engagements et des résultats est cruelle pour l’AF. Si elle a mené la campagne de presse et créé une dynamique contestataire, elle n’a pu ni su déboucher sur le coup de force tant attendu.



L’AF 2879 - Quelles furent les conséquences du 6 février sur l’Action française et sur la droite française en général ?

Olivier Dard - Le 6 février a profondément marqué les droites françaises, à commencer par l’AF. Tandis que le prétendant marque sa distance, au sein de la ligue et des camelots, les justifications données par Maurice Pujo ne convainquent pas une partie des jeunes générations militantes soucieuses d’action. Pujo insiste après coup, et à raison, sur la solidité du régime et l’absence de « conditions objectives » pour le renverser ; mais les militants du 6 février supportent de plus en plus mal la distorsion entre la virulence des discours et les débouchés qui leur sont proposés. L’interdiction de 1936 complique encore la donne et assèche le potentiel militant de l’AF qui voit, à l’inverse, les Croix-de-Feu puis le Parti social français progresser à pas de géant.

L’AF 2879 - On impute au 6 février d’être, à gauche, à l’origine de la dynamique devant conduire au Front populaire...

Olivier Dard - Il faut aussi en finir avec cette légende tenace considérant que les manifestations de gauche ayant suivi le 6 février seraient à l’origine du Front populaire. Assurément, celle du 12, dans la capitale, s’accompagne de scènes de fraternisation entre socialistes et communistes, traduisant une aspiration à l’unité à la base. Mais si certains dirigeants politiques s’emploient à la relayer à l’échelle locale (Jacques Doriot à Saint-Denis), elle ne suscite de la part des directions, notamment communiste, aucune suite sur le moment. En fait, les choses n’ont changé qu’avec le tournant pris par la Troisième Internationale en mai-juin 1934 lorsque Georges Dimitrov explique à Maurice Thorez la nécessité d’un changement de ligne qui passe dorénavant par un « pacte d’unité d’action » avec les socialistes.

L’AF 2879 - A la faveur des grandes manifestations hostiles aux lois sociétales et de certains dérapages racistes ou antisémites médiatisés, des politologues pressés, voire des politiciens évoquent le retour d’un climat digne des années 1930, d’autant que la crise économique fait toujours rage. Un tel rapprochement vous paraît-il justifié ?

Olivier Dard - Ce rapprochement est communément effectué. Il est porteur d’un vrai danger d’anachronisme tant la France d’aujourd’hui est différente de celle d’alors. J’y verrais tout de même certains points communs. Le premier est un pessimisme profond associé à l’idée de déclin voire de décadence et qui résonne comme en écho entre les années trente et aujourd’hui. J’y ajouterai, et je m’excuse de me citer, une formule, « le choix impossible », qui est le sous-titre que j’ai donné il y a quinze ans à un ouvrage consacré à la France des années trente. Je voulais signifier par là que les décideurs avaient une meilleure connaissance des enjeux et des mesures à prendre pour redresser le pays que la mémoire, très négative sur cette période, en avait retenu. Pourtant, un mélange de fatalisme et d’impuissance qui n’excluait pas chez certains les rodomontades régnait sur le pays. Je vous avoue qu’en observant l’actualité, je ne suis pas sans y penser.

L’AF 2879 - Quelle mémoire garder du 6 février 34 ?

Olivier Dard - La formulation de votre question est intéressante car le 6 février a longtemps polarisé les mémoires politiques, à gauche, comme nous l’avons vu, mais aussi à droite où pour les « nationaux » il renvoie à une répression féroce et à une (illusoire) occasion manquée. Cette histoire de mémoire mériterait d’être écrite. Aujourd’hui, sauf peut-être chez les héritiers de l’AF que vous êtes et où l’examen du 6 février est un cas d’étude politique, je ne suis pas sûr que cet événement soit très présent. Il me paraît cependant nécessaire et légitime de se souvenir, 80 ans après, des morts du 6 février.

Propos recueillis par François Marcilhac - L’AF 2879

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